Avis 20234418 Séance du 07/09/2023
Madame X a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 18 juillet 2023, à la suite du refus tacite opposé par la directrice chargée des Archives de France à sa demande de consultation, par dérogation aux délais fixés par l'article L213-2 du code du patrimoine, dans le cadre d'une recherche scientifique réalisée au CREDESPO, Université de Bourgogne, sur la présidence de la Ve République, des documents archivés suivants de la présidence de la République sous la mandature de Monsieur Valéry GISCARD D'ESTAING :
1) la cote X - Relations avec le Gouvernement Formation du Gouvernement : correspondance deX à X, ministre de l'Intérieur (30 mai 1974), notes 1 (1976, 1978). Conseils des ministres « à l'extérieur », Lyon (11 septembre 1974) : minute présidentielle d'interview et de discours ; Lille (1er décembre 1976) ; Hôtel Marigny (15 décembre 1976) ; salon Murat (31 mars 1977) ; Marly (14 décembre 1977, 6 avril 1978, 12 avril 1978, 13 décembre 1978, 12 décembre 1979, 17 d 1974-1980 ;
2) la cote X - Défense nationale et renseignement Afrique, livraisons d'armes françaises en Angola, au Gabon, en Mauritanie, au Sénégal et au Zaïre : copies de correspondance du président de la République à H. KISSINGER et L.-S. SENGHOR, copies de correspondances et notes de X et de l'état-major particulier (1975-1976) ; situation de Madagascar : correspondance d'X à X (22 novembre 1976) ; voyage du président de la République en République centrafricaine : notes mss (1976 1969-1980 ;
3) la cote X - 1976 (24 septembre 1976, compétences et organisation du conseil, liaison avec les organismes existants ; problèmes généraux de non-prolifération ; 11 octobre 1976, principes et mesures envisagés par la France pour éviter la dissémination de l'arme atomique ; 16 décembre 1976, position française dans la réduction des risques de prolifération nucléaire) ;
4) la cote X - Décorations Remise de décorations dans les ordres nationaux de la Légion d'honneur et du Mérite : projets de discours, notices biographiques, programme du service du protocole. 1974-1981 ;
5) la cote X - Service intérieur et travaux d'architecture, attributions et fonctionnement : correspondance et notes (1979), doubles de notes expédiées par le chef du service (1979-1981), prévisions et comptes rendus d'activités hebdomadaires (mai 1979-mai 1981). 1979-1981 ;
6) la cote X - Entretien des résidences présidentielles Service de l'architecture. - Organisation des locaux de la présidence de la République, travaux d'entretien, d'aménagement et d'embellissement de l'Élysée et de l'Alma : notes, correspondance, plans, programmes annuels des travaux, documentation (plaquettes sur les résidences présidentielles). 1974-1980 ;
7) la cote X - Fonctionnement des transmissions : notes confidentiel défense et diffusion restreinte du secrétariat général de la Défense nationale au chef de l'état-major particulier, notes de l'état-major particulier, télégrammes 1. 1. La liste des voyages figure en tête de dossier. 1974-1976 ;
8) la cote X - Représentation du président de la République Représentation du président de la République par un officier de l'état-major particulier : notes, correspondance du secrétariat d'État aux Anciens combattants, télégrammes 1. 1. Les récapitulatifs figurent en tête de dossier. 1974 ;
9) la cote X - Organisation de la Communauté, attributions, mise en place, budget, matériel et personnel du secrétariat général de la Communauté (janvier 1959-janvier 1960 et s. d.). Évolution des institutions, projet de création d'un ministère chargé des Relations avec les États de la Communauté (novembre 1959-février 1960 et s. d.), création du secrétariat d'État aux Relations avec les États de la Communauté (février-avril 1960 et s. d.), réorganisation du secrétariat général de la Communauté (mars 1958-1962 ;
10) la cote AG/5(3)/1171 - Secrétariat général pour la Communauté et les Affaires africaines et malgaches. - Fonctionnement (1959-mars 1969 et s. d.). Budgets (1961-1969). Nouveaux locaux au 2, rue de l'Élysée (1960, 1967-1971 et s. d.) 1 .Fonctionnement et activités après l'élection de X, liquidation (juin 1969-mars 1976) 2 . 1959-1976.
La commission relève, à titre liminaire, que le 4 août 2022 et le 22 septembre 2022, Madame X a présenté trois demandes de consultation de documents d'archives publiques produits par la présidence de la République sous la mandature de Monsieur Valéry GISCARD D'ESTAING, par dérogation aux délais légaux de communicabilité, portant sur un total de vingt-cinq cotes. Ces demandes ont fait l'objet de saisines de la commission n° 202314417, 20234418 et 20234419, examinées à la présente séance.
En l'espèce, la commission relève que le directeur général des patrimoines lui a indiqué qu'en dépit du temps écoulé, ces demandes, qui portent sur un nombre important de cotes, sont toujours en cours d'instruction. La commission en prend note mais estime que des refus implicites ont en l'espèce été opposés à Madame X. Elle rappelle, en effet, que l’administration est tenue d’apporter une réponse aux demandes d’accès par dérogation aux délais légaux de communicabilité des archives publiques dans un délai de deux mois, comme le précise l’article L213-3 du code du patrimoine, à l’échéance duquel le silence vaut refus.
En premier lieu, la commission rappelle que, par principe, les documents d'archives sont communicables de plein droit, en vertu de l'article L213-1 du code du patrimoine. Néanmoins, par dérogation, certaines catégories de documents, en raison des informations qu'ils contiennent, ne sont pas immédiatement communicables et ne le deviennent qu’aux termes des délais et dans les conditions, fixés par l'article L213-2 du même code.
La commission précise, ensuite, qu'en vertu de l'article L213-3 du code du patrimoine, une autorisation de consultation, par anticipation aux délais prévus par l'article L213-2 précité, peut être accordée par l’administration des archives aux personnes, physiques ou morales, qui en font la demande dans la mesure où l'intérêt qui s'attache à la consultation des documents ne conduit pas à porter une atteinte excessive aux intérêts que la loi a entendu protéger. Cette autorisation requiert l’accord préalable de l'autorité dont émanent les documents, l’administration des archives étant tenue par l’avis donné.
La commission rappelle aussi qu'aux termes de l'article L213-4 du code du patrimoine, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 : « Le versement des documents d'archives publiques émanant du Président de la République, du Premier ministre et des autres membres du Gouvernement peut être assorti de la signature entre la partie versante et l'administration des archives d'un protocole relatif aux conditions de traitement, de conservation, de valorisation ou de communication du fonds versé, pendant la durée des délais prévus à l'article L213-2. Les stipulations de ce protocole peuvent également s'appliquer aux documents d'archives publiques émanant des collaborateurs personnels de l'autorité signataire (…) ». Pour l'application de l'article L213-3, l'accord de la partie versante requis pour autoriser la consultation ou l'ouverture anticipée du fonds est donné par le signataire du protocole. Le protocole cesse de plein droit d'avoir effet en cas de décès du signataire et, en tout état de cause, à la date d'expiration des délais prévus à l'article L213-2 ». Par ailleurs, l’article L213-3 relatif aux possibilités de consultation anticipée des archives de droit commun leur est expressément rendu applicable de manière adaptée, l’autorité versante dont l’accord est requis devant s’entendre comme celle ayant signé le protocole.
La commission rappelle enfin que pour apprécier l'opportunité d'une communication anticipée, elle s'efforce, au cas par cas, de mettre en balance les avantages et les inconvénients d'une communication anticipée, en tenant compte d'une part de l'objet de la demande et, d'autre part, de l'ampleur de l'atteinte aux intérêts protégés par la loi.
Conformément à sa doctrine traditionnelle (avis de partie II n° 20050939 du 31 mars 2015), cet examen la conduit à analyser le contenu du document (son ancienneté, la date à laquelle il deviendra librement communicable, la sensibilité des informations qu'il contient au regard des secrets justifiant les délais de communication) et à apprécier les motivations, la qualité du demandeur (intérêt scientifique s'attachant à ses travaux mais aussi intérêt administratif ou familial) et sa capacité à respecter la confidentialité des informations dont il souhaite prendre connaissance.
Dans un avis de partie II n° 20215602 du 4 novembre 2021, la commission a estimé opportun de compléter sa grille d’analyse afin de tenir compte de la décision d’Assemblée n°s 422327 et 431026, du 12 juin 2020, par laquelle le Conseil d’État a précisé qu’afin de déterminer s'il y a lieu ou non de faire droit à une demande de consultation anticipée, il convient de mettre en balance d'une part, l'intérêt légitime du demandeur apprécié au regard du droit de demander compte à tout agent public de son administration posé par l'article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et de la liberté de recevoir et de communiquer des informations protégée par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et, d'autre part, les intérêts que la loi a entendu protéger. L’intérêt légitime du demandeur doit être apprécié au vu de la démarche qu’il entreprend et du but qu’il poursuit en sollicitant la consultation anticipée d’archives publiques, de la nature des documents en cause et des informations qu’ils comportent. Les risques qui doivent être mis en balance sont ceux d’une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi. La pesée de l’un et des autres s’effectue en tenant compte notamment de l’effet, eu égard à la nature des documents en cause, de l’écoulement du temps et, le cas échéant, de la circonstance que ces documents ont déjà fait l’objet d’une autorisation de consultation anticipée ou ont été rendus publics.
En l'espèce, la commission relève qu'une autorisation de consultation par dérogation est nécessaire pour accéder aux dossiers sollicités.
La commission constate, ensuite, que Madame X inscrit sa demande dans le cadre d’un travail de recherche universitaire et que les documents demandés sont en lien direct avec la rédaction de sa thèse sur l'administration élyséenne. Elle précise également que la demanderesse a signé un engagement de réserve.
La commission prend note des difficultés de traitement des demandes de Madame X, compte tenu du volume de documents concernés. Elle observe toutefois, comme indiqué précédemment, que ces demandes sont en cours d’instruction depuis plus d'un an.
Dans ces conditions, et en l'état des informations dont elle dispose, la commission estime que l'intérêt légitime de Madame X est en l'espèce de nature à justifier la consultation anticipée des fonds d’archives demandés, sans qu’il soit porté une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi, sauf à ce que l'analyse effective des dossiers mette en lumière la présence d'éléments sensibles dont la consultation porterait une telle atteinte et qui devraient, dès lors, être disjoints.
La commission émet, dans cette mesure, un avis favorable à la demande.