Avis 20221607 Séance du 21/04/2022

Monsieur X, pour X, a saisi la commission d'accès aux documents administratifs, par courrier enregistré à son secrétariat le 11 mars 2022, à la suite du refus opposé par le directeur de cabinet du Président de la République à sa demande de communication, pour chaque mission, des documents et communications liés aux missions de conseil exercées par des cabinets privés pour le compte de la Présidence de la République entre le 14 mai 2017 et le 9 février 2022 : 1) les documents relatifs à l'éventuel appel d'offres passé par la Présidence de la République : notamment le règlement de la consultation, le cahier des clauses techniques particulières, le cahier des clauses administratives particulières, et le rapport d'analyse des offres, mais également tout autre document communiqué aux entreprises candidates à l’appel d’offres ; 2) la correspondance entre la Présidence de la République et les candidats relative à l'appel d'offres ; 3) les documents relatifs à l'attribution du marché : notamment l’accord-cadre, l’offre d'engagement ou l’acte d'engagement, et les bons de commande, mais aussi tout autre document contractuel établi entre le(s) cabinet(s) attributaire(s) et la Présidence. 4) les documents relatifs à l'évaluation de la prestation : la fiche d'évaluation ou tout autre document assimilé ; 5) les « livrables » produits par le(s) cabinet(s) attributaires ; 6) la correspondance entre la Présidence de la République et le(s) cabinet(s) attributaires relative à l'évaluation des missions de conseil ; 7) les conventions ou contrats conclus entre la Présidence de la République et des cabinets privés de conseil en stratégie relatifs à l'organisation d'événements ou la rédaction de rapports ; 8) les conventions ou contrats conclus entre la Présidence de la République et des cabinets privés de conseil en stratégie relatifs à l'intervention de salariés de ces cabinets dans des groupes de travail liés à la Présidence. La commission rappelle, en premier lieu, qu'une fois signés, les marchés publics et les documents qui s’y rapportent sont des documents administratifs soumis au droit d'accès institué par le livre III du code des relations entre le public et l’administration. Ce droit de communication, dont bénéficient tant les entreprises non retenues que toute autre personne qui en fait la demande, doit toutefois s'exercer dans le respect du secret des affaires, protégé par les dispositions de l’article L311-6 de ce code. Il résulte en effet de la décision du Conseil d’État du 30 mars 2016, « Centre hospitalier de Perpignan » (n° 375529), que, lorsqu’elles sont saisies d’une demande de communication de documents relatifs à un marché public, les autorités mentionnées à l’article L300-2 du même code doivent examiner si les renseignements contenus dans ces documents peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret des affaires et faire ainsi obstacle à cette communication. Le Conseil d’État a en outre précisé qu’au regard des règles de la commande publique, doivent être regardées comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l’ensemble des pièces d’un marché public et que, dans cette mesure, l’acte d’engagement, le prix global de l’offre et les prestations proposées par l’entreprise attributaire, notamment, sont en principe communicables. Sont également communicables les pièces constitutives du dossier de consultation des entreprises (règlement de consultation, cahier des clauses administratives particulières, cahier des clauses techniques particulières…). En revanche, les éléments qui reflètent la stratégie commerciale d’une entreprise opérant dans un secteur d’activité concurrentiel et dont la divulgation est susceptible de porter atteinte au secret des affaires ne sont, en principe, pas communicables. Il en va ainsi de l’offre de prix détaillée contenue dans le bordereau des prix unitaires, la décomposition du prix global et forfaitaire ou le détail quantitatif estimatif, ainsi que du mémoire technique, qui ne sont, de fait, pas communicables aux tiers. Revenant sur sa doctrine antérieure, la commission a également précisé dans son Conseil n° 20221455 inscrit à la même séance, qu’il en va aussi désormais ainsi des factures, bons de commande, états d’acompte, décomptes et autres pièces établies dans le cadre de l’exécution d’un marché public, en tant que ces documents mentionnent les prix unitaires, lesquels doivent, dès lors, être occultés. L’examen de l’offre des entreprises non retenues au regard des mêmes principes conduit de même la commission à considérer que leur offre de prix globale est, en principe, communicable mais qu’en revanche, le détail technique et financier de cette offre ne l’est pas. En outre, pour l’entreprise attributaire comme pour l’entreprise non retenue, les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration doivent entraîner l’occultation des éléments suivants : - les mentions relatives aux moyens techniques et humains, à la certification de système qualité, aux certifications tierces parties ainsi qu'aux certificats de qualification concernant la prestation demandée, ainsi que toute mention concernant le chiffre d'affaires, les coordonnées bancaires et les références autres que celles qui correspondent à des marchés publics ; - dans les documents préparatoires à la passation du marché (procès-verbaux, rapports d'analyse des offres) les mentions relatives aux détails techniques et financiers des offres de toutes les entreprises. La commission précise enfin que si la liste des entreprises ayant participé à la procédure est librement communicable, en revanche les notes et classements des entreprises non retenues ne sont communicables qu'à celles-ci, chacune en ce qui la concerne, en application de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration. En revanche, les notes, classements et éventuelles appréciations de l'entreprise lauréate du marché sont librement communicables. En application de ces principes, la commission émet un avis favorable à la communication des documents visés aux points 1), 3), 7) et 8) de la demande, sous réserve de l’occultation des mentions couvertes par le secret des affaires s’agissant du rapport d’analyse des offres et des bons de commande. En revanche, elle émet un avis défavorable à la communication du mémoire technique et de l’offre de prix détaillée remis par les candidats. La commission émet également un avis favorable, sous les réserves sus-rappelées, à la communication des documents et correspondances relatifs à l’évaluation de la prestation en cours d’exécution du marché, visés aux points 4) et 6) de la demande. La commission considère, en second lieu, que les échanges intervenus lors des négociations sont susceptibles de révéler la stratégie commerciale des candidats et, à ce titre, ne sont pas communicables (avis n° 20122602 du 26 juillet 2012). La commission émet donc un avis défavorable à la communication des documents sollicités au point 2). En troisième lieu, la commission rappelle que les documents remis par l’attributaire d’un marché public dans le cadre de l’exécution du contrat sont des documents administratifs communicables au sens des articles L300-2 et L311-1 du code des relations entre le public et l’administration. Elle émet donc un avis favorable à la communication des documents visés au point 5) de la demande, sous réserve de l'occultation des éventuelles mentions qui révèleraient un secret protégé par la loi en application des dispositions des articles L311-5 et L311-6 du CRPA, et sous réserve qu'ils ne présentent pas un caractère préparatoire. Toutefois, dans l’hypothèse où certains des marchés de prestation de conseil visés par la demande auraient été conclus avec des cabinets d’avocatS, la commission rappelle que le premier alinéa de l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques dispose que : « En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention « officielle », les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel ». En application de ces dispositions, le Conseil d'État a jugé que l'ensemble des correspondances échangées entre un avocat et son client, notamment les consultations juridiques rédigées par l'avocat à son intention, sont des documents administratifs couverts par le secret professionnel (CE, ass., 27 mai 2005, Département de l'Essonne, n° 268564). Il résulte également de la jurisprudence de la Cour de cassation que le secret professionnel de l’avocat couvre l’ensemble des pièces du dossier ainsi que l’ensemble des correspondances échangées entre l’avocat et son client, y compris celles de ces correspondances qui n’ont pas de rapport direct avec la stratégie de défense – comme la convention d'honoraires, ou les facturations afférentes émises par l’avocat (Cass., Civ. 1ère, 13 mars 2008, pourvoi n° B05-11314). En application de cette jurisprudence, la Commission considère que les pièces d’un marché de consultation d’avocat, tant au stade de la passation que de l’exécution, ne sont pas communicables aux tiers, dès lors que ces documents sont protégés par le secret professionnel (Conseil n° 20051797 du 9 juin 2005). Elle émet donc un avis défavorable sur tous les points de la demande, dans l’hypothèse où les missions de conseil objets de la demande auraient été confiées à un cabinet d’avocat. Par un courrier en date du 5 avril 2022, le directeur de cabinet du Président de la République fait valoir que la demande de communication est imprécise, du fait de sa formulation, s'agissant notamment de ses points 5) et 6), et entrainerait une charge de travail disproportionnée, liée à la collecte et à l'occultation des documents en cause, au regard des moyens de la présidence de la République, de nature à en perturber le bon fonctionnement de ses services, et que la demande présenterait en conséquence un caractère abusif. Il souligne enfin qu'un rapport public de la Cour des comptes sur les comptes de la Présidence de la République pour 2019 fait état d'éléments relatifs à l'intervention d'un cabinet de conseil dans le cadre de la réorganisation des services de la présidence. Toutefois, si l'administration n'est pas tenue de répondre à une demande de communication qui présenterait un caractère abusif, la commission rappelle qu'une demande peut être considérée comme abusive lorsqu'elle vise, de façon délibérée, à perturber le fonctionnement d'une administration ou lorsqu'elle a pour effet de faire peser sur elle une charge excessive au regard des moyens dont elle dispose (CE, 14 novembre 2018, Ministre de la culture c/ Société pour la protection des paysages et l’esthétique de la France n° 420055, 422500). Tel peut être le cas des demandes récurrentes, portant sur un volume important de documents traitant, le cas échéant, de la même affaire, des demandes que le service sollicité est manifestement dans l'incapacité matérielle de traiter, ou encore des demandes portant sur des documents auquel le demandeur a déjà eu accès. La commission fonde également son appréciation sur les éléments portés à sa connaissance par le demandeur et l'administration quant au contexte dans lequel s'inscrit la demande et aux motivations qui la sous-tendent. La commission rappelle toutefois que le volume des documents demandés ne peut, par lui-même, justifier légalement un refus de communication. En l'espèce, il ne lui est pas apparu, compte tenu de la nature des documents demandés, de la qualité de l'autorité saisie et des moyens dont elle dispose, de la période limitée visée par la demande ainsi que des circonstances portées à sa connaissance, que cette demande présenterait un caractère abusif. Enfin, s'agissant des modalités de communication, la commission rappelle qu'en vertu de l'article L311-9 du code des relations entre le public et l’administration, l'accès aux documents administratifs s'exerce, au choix du demandeur et dans la limite des possibilités techniques de l'administration, soit par consultation gratuite sur place, soit par courrier électronique et sans frais lorsque le document est disponible sous forme électronique, soit, sous réserve que la reproduction ne nuise pas à la conservation du document, par la délivrance d'une copie sur un support identique à celui utilisé par l'administration ou compatible avec celui-ci et aux frais du demandeur, sans que ces frais puissent excéder le coût de cette reproduction et de l’envoi du document. La commission estime cependant que ces dispositions ne font pas obligation à l’administration de communiquer sous forme électronique les documents dont elle ne dispose pas déjà sous cette forme, ou de numériser un document disponible en version papier.